mercredi 18 juillet 2012

Hommage à Patrick Dewaere, souvenirs d'un acteur unique

Indépendant, radical, farouche, Patrick Dewaere abhorrait la télévision, le star system, le showbiz, la promo en affirmant qu'il ne voulait qu'être acteur. Il était incompris, pour de vrai.


Né dans une famille de comédiens, le jeune Patrick Maurin, qui allait plus tard se détacher de son ascendance en adoptant le nom de sa grand-mère, est lancé très tôt sous les feux de la rampe : il débute au cinéma à l'âge de quatre ans dans "Monsieur Fabre", suivant l'exemple de ses frères et de sa mère, Mado Maurin. Il apparaît sur les planches et dans certaines productions de l'ORTF d'alors, on le voit notamment prêter ses traits au jeune Heathcliff dans une adaptation des "Hauts de Hurlevent". Seulement il n'est pas heureux. Il ne parvient pas à trouver ses marques, à trouver une forme de travail qui le satisfasse. Il tâtonne encore.



Il trouve un exutoire et une tribu au café de la gare. Plutôt que de courir les castings, Dewaere et ses amis (Romain Bouteille, Coluche, Miou-Miou...) se sont construit un théâtre et ont fait leur bout de chemin. Ils ont fait le choix de refuser le circuit conventionnel que Dewaere résumait à son façon («On les emmerde»). C'était Mai 68. La liberté de ton frappe, la sauce prend. Dewaere se trouve, loin de la carrière académique à laquelle il se destinait d'abord (il a été refusé au Conservatoire), dans une immédiateté intense avec le spectateur qu'il va parfaire tout au long de sa carrière.



Bertrand Blier affirme que "Les acteurs ressemblent toujours aux histoires que l'on raconte". Rarement adage aura été plus vrai que pour "Les Valseuses" et son trio magique: Depardieu-Dewaere-Miou-Miou. L'alchimie entre les trois acteurs, la verve provocatrice de Blier qu'ils épousent si bien, font de ce film une date dans le cinéma français. Même quand Blier disait "coupez", le film continuait. Dewaere est merveilleux en mec naïf et un peu beauf, Depardieu est monumental en cerveau gouailleur du duo. On a rarement vu comédiens mieux accordés.


C'est assurément auprès de Blier que Dewaere révèle son potentiel, comme l'incarnation la plus pure de son cinéma. Blier a saisi en même temps que son insoumission, sa rébellion, sa fantaisie et son grain de folie, toute la vulnérabilité et la sensibilité exacerbée de l'acteur. Il le montre souvent dépassé par les évènements (le prof de gym déphasé quand un inconnu vient l'apostropher dans une brasserie pour lui donner sa femme dans Préparez vos mouchoirs, l'air perpétuellement ahuri du Pierrot des Valseuses, la fébrilité de l'homme dont une jeune fille est amoureuse dans Beau-Père). Dewaere a une présence lunaire, le visage expressif et grand ouvert, la diction souvent en décalage. Toutes les émotions passent, sans résistance ni filtre. Capable de l'innocence la plus absolue et la plus poétique (la belle histoire d'amour de "F comme Fairbanks"), la fantaisie la plus débridée (le striptease du footballeur excedé devant son patron dans le grandiose "Coup de tête" de Jean-Jacques Annaud), l'intensité effrayante et dangereuse pour lui en tant qu'acteur (le très troublant "Série Noire" d'Alain Corneau).


A chaque fois il y va à fond, jusqu'à une confusion étrange. Il a, par exemple, ressenti le fait de tuer au cinéma comme une pulsion réelle: "Entre tuer quelqu'un au cinéma et tuer quelqu'un pour de vrai, y a que la mort d'une personne qui change, mais finalement, les gestes sont toujours là... ça doit taper un petit peu le mental". A bien des moments dans la filmographie de Dewaere, la différence n'existe plus entre ce qu'il vivait en tant qu'homme et ce qu'il apportait à son interprétation. On retient son coup de folie dans "Série Noire" où il se cogne furieusement la tête sur le capot de sa voiture alors que le personnage de Marie Trintignant le rend dingue.



Le retrouvant juste après leur rupture pour "F comme Fairbanks", Miou-Miou confiait avoir eu l'impression que Dewaere avait oublié leur séparation. Une fois le tournage terminé, lorsqu'ils se séparaient, Dewaere s'effondrait. Incarnant le rôle engagé du juge Fayard, assassiné car il enquêtait sur la pègre, le comédien lui donne tout.

On peut encore citer d'autres films marquants dans sa filmographie : "La meilleure façon de marcher", de Claude Miller, où il est éblouissant en tortionnaire refoulé face à Patrick Bouchitey, ou encore "Paradis pour tous", d'Alain Jessua, une satire extrêmement juste du bonheur artificiel. Qu'il soit tendre, drôle, touchant (chez Bertrand Blier ou Jean Jacques Annaud) ou poignant, fiévreux, sur la corde raide (chez Corneau ou Sautet), l'acteur foudroyait, pur comme un diamant brut au royaume des faux-semblants. Le 16 juillet 1982, alors que Claude Lelouch lui a confié le personnage de Marcel Cerdan dans "Edith et Marcel", l'acteur se tire une balle de 22 long rifle. Tout le monde s'écroule - Blier, le premier, qui ne cessera de penser à Dewaere, sur le tournage de "Tenue de soirée" notamment - et le cinéma français est en deuil. Il ne faut pas l'oublier et le réduire à sa destinée tragique. Aujourd'hui encore, il reste un modèle pour de nombreux jeunes comédiens mais aucun ne lui est arrivé à la cheville. La preuve, trente ans après sa mort, il reste une référence malgré lui. Malgré lui, car il aurait sans doute détesté ça.

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