dimanche 1 février 2015

Territoire de Belfort : ce jour où Johnny et Sylvie frôlèrent la mort à Roppe


C’est l’époque qui veut cela. En 1970, les artistes prennent les dates comme elles viennent, où plutôt comme leurs managers les signent, sans être trop regardants sur la cohérence des tournées. Le succès est volage, il faut en profiter lorsqu’il est là. Certains chanteurs sont sur scène tous les jours avec, parfois, plusieurs centaines de kilomètres entre deux galas. Pour certains, lorsque la belle saison approche, deux concerts sont mêmes inscrits au programme. L’un en début d’après-midi sous le chapiteau d’une fête de campagne, et l’autre en soirée dans un palais des Congrès. Et qu’importe qu’il y ait trois heures de route entre les deux. Le public veut voir ses idoles, les toucher. Et les artistes, au plus près de leurs fans en pattes d’éléphants, ne leur refusent rien, entre un passage chez Danièle Gilbert et un show devant les caméras de Maritie et Gilbert Carpentier. Souvent les chanteurs ou les musiciens conduisent eux-mêmes, alors qu’ils ont parfois prolongé la nuit bien après la fin des concerts. A leurs risques et périls. Joe Dassin a eu deux accidents de la route. Claude François s’en est tiré miraculeusement à 180 km/h sur l’autoroute, près d’Orange. Sa Lincoln Continental est partie en tonneaux. Il a traversé le pare-brise et n’a eu qu’un nez cassé. Le temps de se faire opérer, il était à nouveau sur scène. Au début des années 70, les vedettes du show-business se croisent donc aussi dans les rubriques des faits-divers des journaux. L’esprit des chanteurs en est marqué. Eddy Mitchell sort un 45 tours intitulé « L’accident ». Michel Sardou lui emboîte le pas avec la chanson « Un accident ». C’est un succès : « Je vous en prie trouvez ma femme/Mais n’appelez pas mes parents/Je ne supporterai pas leurs larmes/Ma mère aurait peur de mon sang » Le couple vedette de ce début des années 70 est jeune, blond, et irrésistible. Johnny Hallyday et Sylvie Vartan sont réclamés partout, même si le chanteur est souvent en tournée, loin de sa famille. Ils viennent d’avoir un petit David. Toute la France lui a envoyé des layettes. Mais la route est pleine de pièges. Il part de Strasbourg à 18 h pour un concert à Besançon en soirée Le 11 avril 1968, déjà, la jeune femme s’était réveillée à l’hôpital de Versailles sans savoir que sa meilleure amie, Mercedes Calmel Mendès, était morte à son côté. Quelques heures plus tôt, leur voiture, une Osi, avait été déchiquetée dans une collision avec une fourgonnette sur une départementale des Yvelines. Moins de deux ans plus tard, elle a rejoint son mari qui vient de chanter à Strasbourg. Comme d’habitude, la tournée est délirante. Auparavant, le rocker a chanté à Liège, avant d’enchaîner à Nancy. Ce 20 février 1970, il doit faire son show à Besançon avant de repartir pour la foire commerciale de Lille. Le couple a quitté Strasbourg vers 18 h. Il fait déjà nuit. C’est Johnny qui conduit. A l’intérieur de la DS Pallas, trois autres personnes ont pris place : Micky Jones, le guitariste de Johnny, Jean Pons, son manager et Sacha Ruhl, son secrétaire. Sylvie Vartan s’est endormie dès la sortie de la capitale alsacienne. Elle est plongée dans un profond sommeil lorsque la DS entre dans Roppe (Territoire de Belfort), par la Nationale 83. Il fait froid. Le sol est couvert de verglas, que balaie une méchante bise. A l’époque, la ceinture de sécurité est une option que personne n’utilise vraiment. C’est le choc de sa tête faisant éclater le pare-brise qui réveille la chanteuse d’un coup. « Quand j’ouvre les yeux, je suis aveugle ou, plutôt, je ne vois plus que du rouge… Ensuite, me voilà dans une maison, allongée. Je ne suis pas aveugle puisque la lumière me parvient, mais toute teintée de rouge… Une onde glacée me paralyse le cœur, et puis les quatre membres : je n’ai plus de visage, c’est çà, je suis défigurée, rayée du monde lumineux des vivants. Je n’ai plus d’avenir. Plus d’avenir » expliquera, des années plus tard, Sylvie Vartan dans son autobiographie « Entre l’ombre et la lumière ».
Le 20 février 1970 à 20 h 30, Jean-Pierre Broggi, 23 ans, regarde la télévision dans la maison de sa grand-mère, au bord du grand virage de Roppe. Alors qu’il est plongé dans « Les chevaliers du ciel », un voisin arrive, affolé, et lui demande d’appeler les secours. La maison est, en effet, la seule à avoir le téléphone dans le quartier. Le jeune homme se lève, sort sur la véranda et tombe nez à nez avec un homme blessé au nez, qui porte dans ses bras une jeune femme blonde au visage ensanglanté. « Sur le coup, je n’ai pas reconnu Johnny Hallyday et Sylvie Vartan » raconte Jean-Pierre Broggi. Derrière, un deuxième homme arrive, qui porte un blessé à la jambe cassée. On installe ce dernier sur le divan.
Personne ne prête attention au générique de fin des « Chevaliers du ciel » qui défile à la télévision : « Les chevaliers du ciel/Dans un bruit de tonnerre/A deux pas du soleil/vont chercher la lumière ». C’est Johnny qui chante dans le poste… Johnny Hallyday est calme mais Sylvie Vartan est très agitée. Olga Brusca, la mère de Jean-Pierre, a du mal à la maintenir au calme. On sort toutes les serviettes des armoires pour tenter de ralentir son saignement à la gorge.

Deux fans se battent pour une pipe cassée au bord de la route

« En traversant le pare-brise, elle s’était coupée contre le verre. Sa gorge était ouverte d’un côté à l’autre, juste sous le menton. C’était très inquiétant » raconte Jean-Pierre Broggi.
« Elle me demandait si elle était encore jolie. Elle voulait que je lui donne un miroir. Elle jetait les serviettes dans tous les sens. Elle était très énervée. Il y avait du sang partout dans la cuisine » poursuit Olga Brusca. Les deux blessés sont évacués vers l’hôpital de Belfort. Les gendarmes suivent. Jean-Pierre Broggi se retrouve seul avec Micky Jones. « On a vu arriver une voiture Dauphine. Radio Tam Tam avait dû fonctionner. C’étaient des fans de Johnny. Ils sont sortis et se sont mis à démonter la voiture. Ils prenaient les baguettes. J’en ai vu deux se battre pour une pipe cassée au bord de la route. J’ai trouvé cela étrange, car je n’avais toujours par reconnu les blessés » raconte le Roppois. Son beau-frère lui dit que c’était Johnny et Sylvie. Il ne le croit pas. Il prend, cependant, un sac et ramasse les effets personnels des blessés qui traînent dans la voiture et la route. « C’est là que j’ai trouvé un portefeuille avec les papiers de Sylvie Vartan. c’était vrai… » Il trouve aussi la montre sertie de diamants de la chanteuse.
Il appelle un de ses amis garagistes pour qu’il prenne en charge la voiture et redescend Micky Jones à l’hôpital de Belfort. Il arrive juste au moment où Jean-Philippe Smet sort du service des urgences en faisant claquer les portes battantes. Un journaliste de L’Est Républicain, Jacques Fissier, lui adresse la parole. « Il lui a dit : “Tu te souviens de moi Johnny. On a joué au rami ensemble…” J’ai vu partir ses lunettes d’un côté, et l’appareil photo de l’autre » raconte Jean-Pierre Broggi, qui redonne les affaires et s’en va. Il garde un très mauvais souvenir de cette soirée. « Ils sont entrés en territoire conquis. Johnny a pris le téléphone et a appelé partout en France. Il a prévenu Besançon, où 3.000 personnes étaient en train de l’attendre, qu’il n’y aura pas de concert ce soir-là. La maison était sans dessus dessous. Il y avait de la boue et du sang partout. C’était un accident et je comprends bien, mais ce que je reproche, c’est de ne m’avoir pas juste remercié. Une poignée de main à l’hôpital, ou un mot plus tard, m’aurait suffit ».
Vers deux heures du matin, on sonne à la porte. C’est un homme envoyé par le chanteur qui lui dit qu’il manque son portefeuille avec de l’argent dedans. « Je l’ai très mal vécu. Le lendemain, j’ai curé pendant des heures le fossé à la recherche de ce maudit portefeuille. Il y avait beaucoup d’eau. Depuis ce jour, je n’ai plus rien de Johnny Hallyday alors que jusque-là, j’avais tous ses disques. Si j’avais voulu faire de l’argent, j’aurais vendu les serviettes utilisées par Sylvie Vartan » dit-il.
Jean-Pierre Broggi, chauffeur routier pendant des décennies, reconnaît cependant une qualité au chanteur : « C’est un excellent conducteur. La voiture a glissé dans le fossé. Il l’a rattrapée et l’a sortie. Elle a glissé à nouveau et il la ressortait lorsqu’il a tapé un aqueduc. Sans ce béton, il aurait récupéré sa trajectoire. Mais il ne roulait pas doucement : à 50 km-h, il n’aurait jamais réussi à sortir la voiture du fossé » explique-t-il.
Quant à Sylvie Vartan, elle quitta la France au bout de quelques jours pour être admise à l’hôpital du Mont-Sinaï à New-York. Elle y resta plusieurs mois pour y subir, pendant des dizaines d’heures, plusieurs opérations de chirurgie esthétique. Il suffit d’ailleurs de regarder le visage de la chanteuse sur les photos de cette époque : il y a un avant et un après ce 20 février 1970 sur la route de Roppe.

http://www.estrepublicain.fr/actualite/2015/02/01/et-rouge-de-sang-arriva-johnny

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